Mai et juin 1896 – rencontre avec l’Abbé Guéroult


Après les deux premières visions de la Vierge Marie par Marie Martel fin avril 1896, la troisième vision a lieu le 1er mai 1896, fête de Saint Joseph travailleur et début du mois de Marie :

Le premier mai, je vis pour la troisième fois, mais la Sainte Vierge ne me parla pas. Je pus lire sur une banderole qu’elle tenait de sa main droite :

«Mon enfant, je te parlerai le jour de la fête du Mont-Carmel.»

Ces mots étaient en lettres bleues. A partir de ce jour, je vis encore plusieurs fois et, de plus en plus, mon amour grandissait envers la Très Sainte Vierge.

L’abbé Guéroult nous conte encore les témoignages d’une autre vision mi-mai 1896 :

Dimanche soir 18 mai. J’avais depuis la veille M. le Marquis d’Auray qui, au Champ, a été le témoin, pendant une grande heure, de la vision de Marie Martel soutenue par Madame Barascud.

Il n’a pas perdu de vue la voyante, fixe, les yeux tendus, priant avec ferveur, récitant son chapelet avec une dévotion angélique. Il est revenu tellement émotionné qu’il pleurait : c’est divin, s’est-il écrié.

abbé guéroult – notes (1896-1900)

La rencontre entre l’abbé Guéroult et Marie Martel va se faire dans les semaines suivantes, début juin 1896, comme cette dernière le relate dans son cahier :

Au commencement de juin, Madame la Comtesse de Bellenot venait à Tilly prier la Sainte Vierge et demandait aux voyants la guérison de sa fille, Marie-Louise.

Elle me la recommanda aussi et elle me dit :

— Demain, son parrain la recevra Enfant de Marie !

Toute la nuit, je n’eus qu’un seul désir, celui d’être au nombre des enfants de Marie. Le matin, à mon réveil, toute surprise, j’apprends que j’allais être reçue Enfant de Marie, si je le voulais, avec Mlle Marie-Louise de Bellenot.

Combien je fus heureuse de cette invitation ! E t puis je me disais : Je veux me confesser et communier… mais, hélàs ! je n’étais pas à Cristot. Enfin, on me dit :

— Allez à Monsieur le Doyen !

Je partis tout de suite et je demandai à Monsieur le Doyen de me confesser, en lui expliquant le sujet. Monsieur le Doyen me répondit :

— C’est l’heure de la Sainte Messe, vous n’avez plus le temps d’aller à Cristot, venez, je vais vous confesser…

Devenir Enfant de Marie signifiait devenir membre de l’Association des Enfants de Marie immaculée, fondée en 1837, dont le but était de former une élite de piété en offrant un enseignement religieux plus poussé.

Henri Guinier : Un dimanche, enfants de Marie (photo en noir et blanc par François Antoine Vizzavona d’un tableau en couleur, palais des beaux-arts de Lille)

Hélas, la demoiselle Bellenot ne serait pas guérie par la Vierge, mais devait aller au Ciel :

Ce jour fut pour moi comme le jour de ma Première Communion. J’étais si heureuse ; il me semblait que je n’appartenais plus à la terre.

Ce beau jour-là, je vis de nouveau la Sainte Vierge qui nous bénissait. Je vis aussi, ce jour-là, la Sainte Vierge regarder Marie-Louise de Bellenot avec la tendresse d’une Mère qui aime beaucoup son enfant, et ce jour-là, fut la conviction qu’elle ne guérirait pas.

Je n’osais pas le dire à la mère. Je lui dis : — Je vais bien prier pour elle… Et chaque fois, que je priais pour elle, j’avais la pensée qu’elle n’était pas pour la terre.

C’est aussi à cette époque que des rumeurs infamantes se propagent contre l’innocence de Marie Martel ; fausses rumeurs comme peut le témoigner l’abbé Beucher :

Quant à Marie Martel, il n’est pus de saletés, de «cochoncetés» (sic) qu’on ne lui ait mises sur le dos. Rien que cela prouverait presque en sa faveur. D’autant qu’il n’y a rien d’aussi faux.

J’ai causé à un cocher de chez Henri Morel (l’hôtelier du village): lui, a été élevé à la porte de Marie Martel; il a deux ans de plus qu’elle, il est toujours resté dans le pays et a été au catéchisme avec elle. Il nous a dit ceci :

— Il n’y a pas un seul mot de vrai dans tout ce qu’on a dit, je la connais bien, très bien, je puis vous certifier que c’est une excellente fille. Elle a un défaut qu’on a exploité: c’est que toujours elle a été gaie, aimant beaucoup rire ,- elle riait parfois pour des riens… Mais où est le mal ?

Lettre de l’abbé Beucher à sa mère (24/11/1896)

L’abbé Guéroult avait également entendu ces vilaines rumeurs, et il voulut voir de lui-même ce qu’il en était vraiment :

Samedi 6 juin. Je fais venir Marie Martel. Je la vois pour la seconde fois et encore parce que je lui ai écrit. Elle ne me connaît pas, — dit-elle ! On disait tant de mal d’elle qu’elle m’avoue n ‘avoir pas eu la hardiesse de venir.

Elle a quelque chose à me révéler quand le temps sera venu. Dès aujourd’hui, elle m’assure que la Très Sainte Vierge veut une chapelle dont elle connaît les dimensions :

— ” Je voudrais voir cette chapelle et mourir pour aller voir éternellement Celle que je vois sur terre ! “

Ses sentiments sont magnifiques ; elle ajoute :

— ” Je n’ai pas toujours été de même. Sans avoir rien fait de ce que l’on me reproche, je n’étais pas assez pieuse et trop rieuse, mais j’ai été et suis bénie certainement parce que j’ai toujours bien aimé la Sainte Vierge. Dès l’âge de trois ans, je savais une belle prière que je récite ici et que l’on me demande. Je n ‘ai jamais été un jour de ma vie sans la réciter, même plusieurs fois. J’ai toujours entretenu, chez moi, un petit autel à Marie, mais depuis qu’elle est si bonne pour moi, je ne veux plus qu’une chose : l’aimer de tout mon cœur ! “

Une dame avait fait vœu de lui donner 20 francs ; je le lui dis. Elle les refusa catégoriquement. Elle n’en a jamais accepté et me dit de les réserver pour la Sainte Vierge.

Elle me dit encore :

— On me traîne dans la boue ; on me fait boire avec les uns et les autres ; aller et venir de même. Or, je ne suis jamais venue qu’accompagnée de ma mère.

abbé Guéroult – notes (1896-1900)

Mais Marie Martel est sereine comme le constate l’abbé Gombault :

(Marie Martel) accepte jusqu’ici très humblement et très gaiement ces petits déboires de la critique.

Abbé Gombault : Les apparitions de Tilly ; fascicules 4 et 5 : p. 75.

C’est aussi à cette époque des premières apparitions que Marie Martel va venir habiter chez la famille Henry qui habite à Tilly, comme l’abbé Guéroult nous le relate :

Marie Martel, 24 ans, demeure maintenant auprès d’une dame Henry qui l’a recueillie chez elle en souvenir de sa fille morte qui était une intime de la voyante… La pauvre fille se traînait autrefois pour venir au Champ. Maintenant on la mène en voiture et elle est à l’abri du besoin chez cette dame Henry..

Lettre de l’abbé Guéroult au Père Lesserteur – 30/11/1896

Depuis quelques années, en effet, M . et Mme Henry se sont retirés à Tilly. Là, une jolie maison, un jardin et une prairie suffisent à leur existence paisible. Ils vivent ainsi à la suite du deuil qui les a durement touchés. Leur seule fille, Cécilia, amie d’enfance de Marie Martel, vient de mourir tout juste âgée de vingt ans.

Famille HENRY et Marie MARTEL

Or, au moment des premières apparitions, la pauvre voyante tombe gravement malade :

« Un rhumatisme cardiaque, contracté très probablement dès l’enfance, dans son logis aussi étroit qu’humide, la saisit… »

note rédigée par l’abbé guéroult

On comprend que le chemin, conduisant de Cristot au Champ, lui impose une rude fatigue et met aussitôt sa santé à l’épreuve.

L’abbé Guéroult nous narre ainsi comment Marie Martel fut accueillie chez la famille Henry :

Madame Henry qui la connaissait fort bien en eut pitié et, d’abord, pour lui éviter les cinq kilomètres du retour, l’invita à venir coucher chez elle, plus tard à y rester le lendemain, puis à y rester toujours. Ainsi se fit cette adoption toute affectueuse et toute dévouée…

Note de l’abbé Guéroult

Cette bienveillance de la famille Henry vient soulager Marie Martel qui se levait régulièrement à 4h30 du matin pour aller travailler et priait souvent jusque tard dans la nuit. Sa santé était assez défaillante au point qu’elle se rendait au champs des apparitions pendant la première année des apparitions avec deux bâtons lui servant de béquilles.

Pour autant, Marie Martel ne se morfondait pas sur ses souffrances nombreuses, et des calomnies à son encontre, mais débordait de charité, et s’occupait des plus pauvres et nécessiteux.

Ce choix de s’occuper des plus petits sera rappelé à Marie Martel, lorsqu’elle entendra plus tard la Vierge lui rappeler :

— AIME LES PAUVRES, COMME JE T’AI AIMÉE !

la Vierge Marie à Marie Martel